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17 juin 2018 Actualités

Le notaire et la VEFA : une vieille affaire de responsabilité civile …

Parmi toute un série de décisions rendues le 3 mai dernier par la Cour de cassation, deux retiennent l’attention en ce qu’elles portent sur la responsabilité du notaire face à ce bon gros piège qu’est pour lui la vente en état de futur achèvement dès lors qu’il intervient aux côtés d’un autre professionnel auquel il fait une confiance excessive.

Le premier arrêt (Cour de cassation, 1re chambre civile, 3 Mai 2018 – n° 17-10.520 Numéro de pourvoi : 17-10.520 Numéro ECLI: FR:CCASS:2018:C100460) mettait aux prises un acquéreur ayant conclu le 3 décembre 2003 avec le mandataire du vendeur, un contrat préliminaire de vente en l’état futur d’achèvement portant sur l’acquisition d’un appartement ;

suivant acte authentique d’achat du 31 décembre 2003, le vendeur s’obligeant à livrer l’immeuble achevé au plus tard au cours du deuxième trimestre 2004, délai qui ne fut évidemment pas tenu ;

invoquant un retard dans la perception des loyers, la perte de déductions fiscales et le coût de travaux d’achèvement, l’acquéreur a assigné en responsabilité et indemnisation le notaire et le mandataire, ce dernier appelant en garantie son assureur … et, pour faire bonne mesure, lui aussi le notaire pris entre deux feux.

Cassation de l’arrêt qui, pour écarter la responsabilité du notaire, a cru pouvoir retenir « que l’obligation indemnitaire de ce dernier ne peut résulter du seul fait qu’il n’a pas vérifié que l’attestation fournie était conforme à l’article R. 261-20 du code de la construction et de l’habitation, dès lors qu’une réponse ministérielle du 21 novembre 1970 avait admis la justification du montant des fonds propres par une attestation d’expert-comptable dont la compétence professionnelle pour évaluer le montant des fonds propres d’une société apparaît au moins égale à celle d’un établissement financier » ; bref, puisque le ministre vous le dit, c’est que c’est bon, a dû penser le notaire.

Grave erreur car pour la haute juridiction, « en statuant ainsi, alors que l’article R. 261-20 du code de la construction et de l’habitation dispose que les justifications sont constituées, en ce qui concerne les fonds propres, par une attestation délivrée par une banque ou un établissement financier habilité à faire des opérations de crédit immobilier, la cour d’appel a violé les textes » ;

autrement dit, un expert-comptable, c’est bien, surtout s’il a le brevet d’un ministre, mais en la matière seul un établissement financier habilité à faire des opérations de crédit immobilier pouvait attester des fonds propres du vendeur : ça fait chère la marque de confiance en nos amis experts-comptables, mais c’est la loi …

Bref, chers notaires, faites confiance au texte, pas à ce qu’en dit un ministre.

***************************************************

Même jour, même motif, même sanction pour ce second arrêt de la 1re chambre civile de la Cour de cassation ( n° 17-15.452. Numéro de pourvoi : 17-15.452 Numéro ECLI:FR:CCASS:2018:C100457) :

des époux en mal d’investissements « défiscalisés » (air connu) avaient demandé à une société d’investissement (ce qui n’est pas sot) de procéder à une synthèse de leur situation patrimoniale et surtout de leur faire des propositions de défiscalisation.

Forts de ses conseils ils ont, le 25 novembre 2010, signé une promesse de vente d’un immeuble ; le 15 décembre 2010, ils ont fait immatriculer au registre du commerce et des sociétés une SCI, constituée entre eux dans ce but ;

le 27 janvier 2011, la vente a été réitérée par devant notaire : jusque-là, pas de problème, du moins en apparence.

Car près de deux ans plus tard (le 6 novembre 2012), le fisc refuse finalement aux investisseurs en herbe l’application d’un taux réduit d’impôt (celui de 25 % de l’article 199 septvicies du code général des impôts) au titre des investissements réalisés en 2011, au double motif 1) que ce bien était un logement neuf achevé et non un logement acquis au moyen d’une vente en l’état futur d’achèvement  et 2) que la date de la réalisation de l’investissement locatif à retenir était celle de la signature de l’acte authentique de vente ;

comme de juste, les investisseurs et la SCI ont donc assigné la société d’investissement et le notaire en responsabilité et indemnisation.

Au début tout va bien pour le notaire. Mais la haute juridiction estime que c’est à tort que, pour rejeter les demandes de dommages-intérêts dirigées contre le notaire, l’arrêt retient, certes, celui-ci n’ignorait pas l’avantage fiscal que les investisseurs et la SCI recherchaient, qu’il a manqué à ses obligations en ne s’assurant pas de la loi fiscale applicable et en ne les informant pas que cette loi ne s’appliquait pas à la vente d’un immeuble achevé

« mais que, même s’ils avaient été correctement informés de la législation fiscale, ceux-ci n’auraient pu bénéficier de la réduction d’impôt espérée, dès lors qu’aucune partie n’allègue une faute à l’origine du retard qui a affecté la signature de l’acte authentique de vente » ;

autrement dit, ça n’est pas la faute du notaire si les acquéreurs ont trainé sans que personne, ni la société d’investissement, ni le notaire ne les aient pressé de passer à l’acte…

Pour la cour suprême, « en se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il lui était demandé, si, en l’absence de faute du notaire, les investisseurs et la SCI n’auraient pas été en mesure de signer l’acte authentique de vente avant le 31 décembre 2010 et de bénéficier de l’avantage fiscal qu’ils attendaient, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision » (voilà qui fleure bon la perte de chance).

Donc, en l’espèce, la cour sanctionne le notaire qui a oublié d’ouvrir le CGI et a ainsi, si ce n’est induit ses clients en erreur, puisqu’ils l’avaient été (tout comme lui, à l’évidence) par la fameuse société d’investissements, ne les a pas protégé de leur croyance aveugle.

C’est sévère, mais logique : l’obligation de conseil n’est pas subsidiaire.

Comme disait Georges Bernanos, « la foi c’est vingt-quatre heures de doute moins une minute d’espérance » : le notaire doit se dire la même chose au sujet de la foi qu’il a dans les professionnels qui l’accompagnent (et plus encore, qui le précèdent) dans l’élaboration de ses actes.

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Le notaire et la VEFA : une vieille affaire de responsabilité civile …

Parmi toute un série de décisions rendues le 3 mai dernier par la Cour de cassation, deux retiennent l’attention en ce qu’elles portent sur la responsabilité du notaire face à ce bon gros piège qu’est pour lui la vente en état de futur achèvement dès lors qu’il intervient aux côtés d’un autre professionnel auquel il fait une confiance excessive.

Le premier arrêt (Cour de cassation, 1re chambre civile, 3 Mai 2018 – n° 17-10.520 Numéro de pourvoi : 17-10.520 Numéro ECLI: FR:CCASS:2018:C100460) mettait aux prises un acquéreur ayant conclu le 3 décembre 2003 avec le mandataire du vendeur, un contrat préliminaire de vente en l’état futur d’achèvement portant sur l’acquisition d’un appartement ;

suivant acte authentique d’achat du 31 décembre 2003, le vendeur s’obligeant à livrer l’immeuble achevé au plus tard au cours du deuxième trimestre 2004, délai qui ne fut évidemment pas tenu ;

invoquant un retard dans la perception des loyers, la perte de déductions fiscales et le coût de travaux d’achèvement, l’acquéreur a assigné en responsabilité et indemnisation le notaire et le mandataire, ce dernier appelant en garantie son assureur … et, pour faire bonne mesure, lui aussi le notaire pris entre deux feux.

Cassation de l’arrêt qui, pour écarter la responsabilité du notaire, a cru pouvoir retenir « que l’obligation indemnitaire de ce dernier ne peut résulter du seul fait qu’il n’a pas vérifié que l’attestation fournie était conforme à l’article R. 261-20 du code de la construction et de l’habitation, dès lors qu’une réponse ministérielle du 21 novembre 1970 avait admis la justification du montant des fonds propres par une attestation d’expert-comptable dont la compétence professionnelle pour évaluer le montant des fonds propres d’une société apparaît au moins égale à celle d’un établissement financier » ; bref, puisque le ministre vous le dit, c’est que c’est bon, a dû penser le notaire.

Grave erreur car pour la haute juridiction, « en statuant ainsi, alors que l’article R. 261-20 du code de la construction et de l’habitation dispose que les justifications sont constituées, en ce qui concerne les fonds propres, par une attestation délivrée par une banque ou un établissement financier habilité à faire des opérations de crédit immobilier, la cour d’appel a violé les textes » ;

autrement dit, un expert-comptable, c’est bien, surtout s’il a le brevet d’un ministre, mais en la matière seul un établissement financier habilité à faire des opérations de crédit immobilier pouvait attester des fonds propres du vendeur : ça fait chère la marque de confiance en nos amis experts-comptables, mais c’est la loi …

Bref, chers notaires, faites confiance au texte, pas à ce qu’en dit un ministre.

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Même jour, même motif, même sanction pour ce second arrêt de la 1re chambre civile de la Cour de cassation ( n° 17-15.452. Numéro de pourvoi : 17-15.452 Numéro ECLI:FR:CCASS:2018:C100457) :

des époux en mal d’investissements « défiscalisés » (air connu) avaient demandé à une société d’investissement (ce qui n’est pas sot) de procéder à une synthèse de leur situation patrimoniale et surtout de leur faire des propositions de défiscalisation.

Forts de ses conseils ils ont, le 25 novembre 2010, signé une promesse de vente d’un immeuble ; le 15 décembre 2010, ils ont fait immatriculer au registre du commerce et des sociétés une SCI, constituée entre eux dans ce but ;

le 27 janvier 2011, la vente a été réitérée par devant notaire : jusque-là, pas de problème, du moins en apparence.

Car près de deux ans plus tard (le 6 novembre 2012), le fisc refuse finalement aux investisseurs en herbe l’application d’un taux réduit d’impôt (celui de 25 % de l’article 199 septvicies du code général des impôts) au titre des investissements réalisés en 2011, au double motif 1) que ce bien était un logement neuf achevé et non un logement acquis au moyen d’une vente en l’état futur d’achèvement  et 2) que la date de la réalisation de l’investissement locatif à retenir était celle de la signature de l’acte authentique de vente ;

comme de juste, les investisseurs et la SCI ont donc assigné la société d’investissement et le notaire en responsabilité et indemnisation.

Au début tout va bien pour le notaire. Mais la haute juridiction estime que c’est à tort que, pour rejeter les demandes de dommages-intérêts dirigées contre le notaire, l’arrêt retient, certes, celui-ci n’ignorait pas l’avantage fiscal que les investisseurs et la SCI recherchaient, qu’il a manqué à ses obligations en ne s’assurant pas de la loi fiscale applicable et en ne les informant pas que cette loi ne s’appliquait pas à la vente d’un immeuble achevé

« mais que, même s’ils avaient été correctement informés de la législation fiscale, ceux-ci n’auraient pu bénéficier de la réduction d’impôt espérée, dès lors qu’aucune partie n’allègue une faute à l’origine du retard qui a affecté la signature de l’acte authentique de vente » ;

autrement dit, ça n’est pas la faute du notaire si les acquéreurs ont trainé sans que personne, ni la société d’investissement, ni le notaire ne les aient pressé de passer à l’acte…

Pour la cour suprême, « en se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il lui était demandé, si, en l’absence de faute du notaire, les investisseurs et la SCI n’auraient pas été en mesure de signer l’acte authentique de vente avant le 31 décembre 2010 et de bénéficier de l’avantage fiscal qu’ils attendaient, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision » (voilà qui fleure bon la perte de chance).

Donc, en l’espèce, la cour sanctionne le notaire qui a oublié d’ouvrir le CGI et a ainsi, si ce n’est induit ses clients en erreur, puisqu’ils l’avaient été (tout comme lui, à l’évidence) par la fameuse société d’investissements, ne les a pas protégé de leur croyance aveugle.

C’est sévère, mais logique : l’obligation de conseil n’est pas subsidiaire.

Comme disait Georges Bernanos, « la foi c’est vingt-quatre heures de doute moins une minute d’espérance » : le notaire doit se dire la même chose au sujet de la foi qu’il a dans les professionnels qui l’accompagnent (et plus encore, qui le précèdent) dans l’élaboration de ses actes.