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07 novembre 2016 Actualités PUBLICATIONS

Repenser la procédure sur recours

L’harmonisation et l’accélération des procédures devant la cour militent en faveur d’un rôle accru du conseiller de la mise en état et d’une structuration des écritures

L’essentiel


 Le raccourcissement des délais devant la cour et le renforcement de la place de l’écrit en toutes matières, devraient conduire à un renforcement du rôle du conseiller de la mise en état qui, doté de pouvoirs étendus, deviendrait l’arbitre des délais. De leur côté, les avocats devraient s’astreindre à la structuration de leurs écritures.


I. L’UNIFORMISATION OU L’HARMONISATION DES DIFFÉRENTES PROCÉDURES D’APPEL PASSERONT-ELLES PAR UNE MONTÉE EN PUISSANCE DE L’ÉCRIT ?

Il est certain que même dans Le cadre des procédures sans représentation obligatoire (en dehors, bien entendu, des affaires dans lesquelles les parties comparaissent sans être assistées), la place de l’écrit s’est considérable­ment accrue, du seul fait de la présence des avocats.

En effet, même lorsque la procédure est orale, comme on pouvait déjà l’observer en première instance, les avocats ont pris l’habitude, devant la Cour, de prendre des conclusions, de viser leurs pièces, voire de conclure de manière « récapitulative », alors même qu’aucune règle procédurale ne le leur impose.

C’est que l’écrite le grand mérite de permettre aisément de satisfaire aux premiers principes d’un procès équi­table : la loyauté et le respect du contradictoire.

Il n’y a donc que des avantages à renforcer ta place de «l’écrit, même dans les procédures dans laquelle La repré­sentation n’est pas obligatoire, dès lors que le justiciable peut avoir accès à des formulaires pour l’aider dans sa rédaction : il suffit de voir les démarches administratives importantes (telle la demande de permis de construire, par exemple) que peuvent être amenés à faire les par­ticuliers dans Leur vie quotidienne, pour penser que ces mêmes particuliers pourraient être amenés sans réel pré­judice pour eux, à se plier à un formalisme équivalent dans le cadre de leurs actions en justice.

 Pour autant, l’oralité n’a pas disparu et le « moment » de l’audience reste essentiel pour permettre au juge de for­ger sa conviction au cours des plaidoiries.

On pourrait résumer la situation de la manière suivante : le juge attend des avocats, lorsqu’ils plaident, qu’ils le convainquent de leur donner raison, et il attend des écri­tures prises par tes avocats d’y trouver des moyens de rédiger une décision en ce sens.

Le renforcement de la place de l’écrit a d’ailleurs conduit la Cour, même dans les procédures orales, à organiser une sorte de mise en état qui n’était certes qu’indicative mais qui avait le mérite d’exister puisque, si elle ne com­portait pas de sanction à proprement parler, elle pouvait, en pratique, fréquemment se traduire par une radiation de l’affaire qui n’aurait pas été en L’état, plutôt que par un renvoi.

On a assisté à ce renforcement de la « mise en état » devant les chambres sociales de la cour d’appel de Paris depuis plusieurs mois dans La perspective de la modifica­tion de La procédure prud’homale devant la Cour.

Nous aurons donc, pendant de nombreux mois encore, trois régimes procéduraux selon que les affaires auront été portées devant la Cour avant ou après le 1er août 2016, même si La plupart des affaires portées devant la Cour avant cette date connaissaient déjà la sorte de mise en état dont nous venons de parler, si bien qu’à terme cette question ne se posera plus : l’écrit se sera, de fait, imposé.

Si l’on ne peut que se féliciter de cette « montée en puissance » de l’écrit, même devant les chambres de pro­cédure orale, il faut toutefois prendre garde à ce qu’elles ne tombent pas dans l’excès d’une « concentration procé­durale », incompatible avec l’évolution du Litige devant la Cour et avec la possibilité laissée aux parties de faire des demandes nouvelles, dès lors qu’elles découlent de celles formées en première instance.

De ce point de vue, les projets de décret, dont la rumeur fait état, ne manquent pas d’inquiéter, puisque, si l’on a bien compris, la Chancellerie envisagerait de limiter l’ap­pel à la seule réformation du jugement, abandonnant ainsi l’appel voie d’achèvement, ce qui aurait pour conséquence d’interdire toute évolution du litige et des demandes.

Une telle évolution couplée avec la mise en œuvre (voire la codification) de La jurisprudence Césaréo (Cass. ass. 7 juill. 2006, n°  4-10672) représente un risque d’obstacle quasi insurmontable à l’accès au juge.

L’oralité a enfin le mérite essentiel de permettre au juge, s’il le souhaite — et s’il en a Le temps — d’entendre Les par­ties présentes à l’audience, ce qui, dans certains cas, peut être déterminant pour l’aider à se forger une conviction. C’est en outre souvent important pour le justiciable Lui-même qui a La sensation d’être véritablement « entendu » par le juge, par-delà la plaidoirie de sa cause.

II. LA RÉDUCTION DE LA DURÉE DE L’INSTANCE PASSE PAR UN RENFORCEMENT DE LA MISE EN ÉTAT

Le renforcement de la mise en état que nous avons évoqué précédemment permettrait sans difficulté de revenir à un système plus raisonnable en matière de délais.

Personne ne sera surpris d’entendre affirmer que les délais actuels de trois et deux mois pour l’appelant et L’in­timé sont vécus comme d’autant plus traumatisants qu’ils sont imposés sans aucune contrepartie, les affaires étant fixées pour être plaidées 12 à 18 mois après L’échange de ces conclusions prises dans des-délais record…

Et le principe selon Lequel seules les « dernières écri­tures » sont prises en compte par la Cour suscite des comportements aux antipodes du respect du contra­dictoire : nombreux sont Les appelants qui concluent « banalement » dans le délai de trois mois et attendent huit à dix jours avant la date prévue de clôture pour déve­lopper Leur « vraie » argumentation, ce qui met l’intimé dans l’obligation de répondre dans un délai extrêmement court, sauf à demander à La Cour que les conclusions soient écartées des débats pour non-respect du contradic­toire, ce qui demande de la part de la partie concernée une grande confiance en son avocat, puisque la question ne sera finalement résolue que devant la Cour de cassation…

En un mot, si la réforme Magendie était certainement par­tie d’une•bonne intention, elle aboutit à une procédure anxiogène, génératrice de cas de responsabilité civile pro­fessionnelle des avocats pour un résultat nul en termes de gain de temps procédural.

Bien plus, les ordonnances du conseiller de la mise en état (CME) « constatant »'(il ne peut rien faire d’autre) le non-respect des délais sont, la plupart du temps, contestées et déférées à La chambre, qui doit donc rendre des décisions en la matière… retardant d’autant la gestion des autres dossiers au fond…

Nous sommes typiquement dans une réforme de gestion des flux par le vide qui consiste à évacuer des affaires par tous les moyens, y compris celui du non-respect des délais.

Tout cela dit sans insister sur le fait que, jusqu’à preuve du contraire, Le procès reste — encore — la chose des parties…

Avec un CME aux pouvoirs renforcés (c’est-à-dire qui ne soit pas cantonné à constater qu:un délai est expiré pour en tirer la conclusion d’une forclusion) et proactif dans les procédures, on pourrait imaginer qu’après un échange de conclusions de l’appelant et de l’intimé, celui-ci, connais­sance prise du jugement dont appel, puisse orienter le débat vers telle ou telle question qui lui semblerait devoir être posée ou approfondie, ou, au contraire, s’il estime

que les conclusions des parties lui paraissent sUffisantes, proposer de rendre une ordonnance de clôture après, bien entendu, comme en dispose le Code de procédure civile, en avoir prévenu les parties avec un délai de préa­vis raisonnable pour que ceux-ci puissent éventuellement réagir.

On viderait ainsi le contentieux de la contestation des ordonnances du CME par le déféré, on ferait du CME un vé­ritable acteur de l’ceuvre de justice (et non pas seulement l’observateur passif, limité dans son action à l’allocation de provisions ou à l’arbitrage des incidents de communi­cation de pièces) et on accélérait le cours des procédures avec une « prime » aux plaideurs les plus diligents.

On peut même rêver d’un CME qui disposerait des pouvoirs d’augmenter (il a déjà le pouvoir de réduire) les délais, en fonction de la situation des parties et de leurs conseils, en plus de celui de prononcer des clôtures partielles pour sanctionner Les plaideurs les plus négligents.

En tout état de cause, il faudrait commencer par réformer la règle posée à l’article 779 du Code de procédure civile, selon laquelle « la date de la clôture doit être aussi proche que possible de celle fixée pour les plaidoiries » et Laisser, tout au contraire, Le CME prononcer la clôture dès que les échanges de conclusions lui paraissent, sauf opposition dûment motivée des avocats des parties, suffisants pour que l’affaire soit évoquée en l’état de ces écritures.

Rien n’interdirait qu’en cas de circonstances nouvelles, motivées (par exemple si des faits nouveaux le justifiaient), les parties demandent du CME le rabat de la clôture pour reprendre leurs échanges.

Disposant de pouvoirs renforcés, le CME deviendrait ainsi le véritable « arbitre » des délais.

Et si les moyens viennent à manquer pourquoi ne pas affecter à un « pôle » et non plus à une chambre détermi­née, Le CME ? liserait ainsi indépendant de la chambre et viendrait, le jour de l’audience des plaidoiries, présenter à la formation collégiale son rapport sur le jugement entre­pris, le déroulement de la procédure et sa compréhension des termes du litige qui demeure.

Cette formation collégiale Pourrait alors se limiter à un président et un conseiller, qui rapporteraient au troisième conseiller, pendant le cours du délibéré, en vue d’aboutir à l’arrêt attendu.

III. RATIONALISER LE TEMPS DE L’APPEL PASSE AUSSI PAR LA STRUCTURATION DES ÉCRITURES

Il est certain que la qualité des écritures judiciaires s’est dégradée depuis quelques années, et ce n’est pas, de l’aveu même des magistrats interrogés par Droit & Procédure, tant La longueur des conclusions qui pose problème, que la qualité même de ces écritures, au plan rédactionnel et, de manière plus préoccupante encore, leur articulation.

Si l’on ne saurait admettre que par voie de protocoles entre Les barreaux et les juridictions (voire par simple oukase, comme c’est le cas parfois) soit imposée aux avo­cats une limitation du nombre de pages ou de caractères de leurs écritures, ou que leur soit imposé un plan type, il est certain que des « guides de bonnes pratiques » et La rédaction de plans-types proposés au travers de ces protocoles, comme ce fut le cas de la convention conclue avec les barreaux du ressort de la cour d’appel de Paris il y a trois ans doivent être encouragés.

Et contrairement à ce que peuvent penser certains esprits chagrins, cette « discipline », si elle est respectée, ren­forcera la place de l’avocat et rendra celui-ci, de facto, indispensable, cette manière de renforcer la place de l’écrit ne devant pas nécessairement – osons même dire, au contraire – être couplée avec la représentation obligatoire par avocat : plus d’écrits, mieux structurés, aboutiront, à terme, à la promotion d’un barreau efficient pour ne pas dire, indispensable.

Mais encore faut-il convaincre les avocats de privilégier une écriture soignée et synthétique de Leur argumenta­tion en concentrant leurs moyens et en structurant leurs écritures.

Cela passera par un enseignement rénové à l’école du Barreau, aussi bien au stade de la formation initiale que de la formation continue, qui doit se faire « main dans ta main » entre magistrats et avocats.

Se rapprocher des avocats aux Conseils permettrait enfin de mettre en place de véritables enseignements de ré­daction des écritures devant La Cour, en s’inspirant de la technique de rédaction des mémoires de cassation.

Il faut, dans le même ordre d’idée, que les magistrats et avocats continuent de travailler ensemble à la mise en place de guides de bonnes pratiques et à l’élaboration de plans-types par spécialités de contentieux;même s’ils resteront tous élaborés sur la base de préceptes simples :

  • l’annonce du plan ;
  • la séparation absolue de la présentation des faits, de la discussion juridique ;
  • la critique du jugement (trop souvent l’appelant se contente de refaire le procès de première instance sans même critiquer le jugement) ;
  • l’articulation des moyens et des demandes en les clas­sant dans l’ordre du Code de procédure civile (nullités, fins de non-recevoir, défenses au fond) et en les complé­tant par l’énoncé et le développement des fondements juridiques ;

– la récapitulation, dans Le dispositif, des seules de­mandes, à L’exclusion de toute demande de constat ou autres.

Il est certain qu’un bon exposé des faits permet des ren­vois, au stade de la discussion, pour éviter les redites.

Et que l’objectivité, la concision de cet exposé des faits, doublées de la clarté et de la précision de l’exposé des moyens de droit, seront précieuses pour le conseiller qui aura à rédiger ta décision de la Cour : c’est donc une bonne façon pour l’avocat d’essayer d’obtenir satisfaction…

Bien entendu, la mention des pièces dans le corps’ des écritures, au fil de la présentation des faits, puis de la dis­cussion, s’impose mais cela va maintenant de soi.


 

NDA : le style oral de la présentation a été conservé

 

Article écrit par Stéphane LATASTE et paru dans la revue La Gazette du Palais – hors série, 31 octobre 2016

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PUBLICATIONS 07 novembre 7Actualités

Repenser la procédure sur recours

L’harmonisation et l’accélération des procédures devant la cour militent en faveur d’un rôle accru du conseiller de la mise en état et d’une structuration des écritures

L’essentiel


 Le raccourcissement des délais devant la cour et le renforcement de la place de l’écrit en toutes matières, devraient conduire à un renforcement du rôle du conseiller de la mise en état qui, doté de pouvoirs étendus, deviendrait l’arbitre des délais. De leur côté, les avocats devraient s’astreindre à la structuration de leurs écritures.


I. L’UNIFORMISATION OU L’HARMONISATION DES DIFFÉRENTES PROCÉDURES D’APPEL PASSERONT-ELLES PAR UNE MONTÉE EN PUISSANCE DE L’ÉCRIT ?

Il est certain que même dans Le cadre des procédures sans représentation obligatoire (en dehors, bien entendu, des affaires dans lesquelles les parties comparaissent sans être assistées), la place de l’écrit s’est considérable­ment accrue, du seul fait de la présence des avocats.

En effet, même lorsque la procédure est orale, comme on pouvait déjà l’observer en première instance, les avocats ont pris l’habitude, devant la Cour, de prendre des conclusions, de viser leurs pièces, voire de conclure de manière « récapitulative », alors même qu’aucune règle procédurale ne le leur impose.

C’est que l’écrite le grand mérite de permettre aisément de satisfaire aux premiers principes d’un procès équi­table : la loyauté et le respect du contradictoire.

Il n’y a donc que des avantages à renforcer ta place de «l’écrit, même dans les procédures dans laquelle La repré­sentation n’est pas obligatoire, dès lors que le justiciable peut avoir accès à des formulaires pour l’aider dans sa rédaction : il suffit de voir les démarches administratives importantes (telle la demande de permis de construire, par exemple) que peuvent être amenés à faire les par­ticuliers dans Leur vie quotidienne, pour penser que ces mêmes particuliers pourraient être amenés sans réel pré­judice pour eux, à se plier à un formalisme équivalent dans le cadre de leurs actions en justice.

 Pour autant, l’oralité n’a pas disparu et le « moment » de l’audience reste essentiel pour permettre au juge de for­ger sa conviction au cours des plaidoiries.

On pourrait résumer la situation de la manière suivante : le juge attend des avocats, lorsqu’ils plaident, qu’ils le convainquent de leur donner raison, et il attend des écri­tures prises par tes avocats d’y trouver des moyens de rédiger une décision en ce sens.

Le renforcement de la place de l’écrit a d’ailleurs conduit la Cour, même dans les procédures orales, à organiser une sorte de mise en état qui n’était certes qu’indicative mais qui avait le mérite d’exister puisque, si elle ne com­portait pas de sanction à proprement parler, elle pouvait, en pratique, fréquemment se traduire par une radiation de l’affaire qui n’aurait pas été en L’état, plutôt que par un renvoi.

On a assisté à ce renforcement de la « mise en état » devant les chambres sociales de la cour d’appel de Paris depuis plusieurs mois dans La perspective de la modifica­tion de La procédure prud’homale devant la Cour.

Nous aurons donc, pendant de nombreux mois encore, trois régimes procéduraux selon que les affaires auront été portées devant la Cour avant ou après le 1er août 2016, même si La plupart des affaires portées devant la Cour avant cette date connaissaient déjà la sorte de mise en état dont nous venons de parler, si bien qu’à terme cette question ne se posera plus : l’écrit se sera, de fait, imposé.

Si l’on ne peut que se féliciter de cette « montée en puissance » de l’écrit, même devant les chambres de pro­cédure orale, il faut toutefois prendre garde à ce qu’elles ne tombent pas dans l’excès d’une « concentration procé­durale », incompatible avec l’évolution du Litige devant la Cour et avec la possibilité laissée aux parties de faire des demandes nouvelles, dès lors qu’elles découlent de celles formées en première instance.

De ce point de vue, les projets de décret, dont la rumeur fait état, ne manquent pas d’inquiéter, puisque, si l’on a bien compris, la Chancellerie envisagerait de limiter l’ap­pel à la seule réformation du jugement, abandonnant ainsi l’appel voie d’achèvement, ce qui aurait pour conséquence d’interdire toute évolution du litige et des demandes.

Une telle évolution couplée avec la mise en œuvre (voire la codification) de La jurisprudence Césaréo (Cass. ass. 7 juill. 2006, n°  4-10672) représente un risque d’obstacle quasi insurmontable à l’accès au juge.

L’oralité a enfin le mérite essentiel de permettre au juge, s’il le souhaite — et s’il en a Le temps — d’entendre Les par­ties présentes à l’audience, ce qui, dans certains cas, peut être déterminant pour l’aider à se forger une conviction. C’est en outre souvent important pour le justiciable Lui-même qui a La sensation d’être véritablement « entendu » par le juge, par-delà la plaidoirie de sa cause.

II. LA RÉDUCTION DE LA DURÉE DE L’INSTANCE PASSE PAR UN RENFORCEMENT DE LA MISE EN ÉTAT

Le renforcement de la mise en état que nous avons évoqué précédemment permettrait sans difficulté de revenir à un système plus raisonnable en matière de délais.

Personne ne sera surpris d’entendre affirmer que les délais actuels de trois et deux mois pour l’appelant et L’in­timé sont vécus comme d’autant plus traumatisants qu’ils sont imposés sans aucune contrepartie, les affaires étant fixées pour être plaidées 12 à 18 mois après L’échange de ces conclusions prises dans des-délais record…

Et le principe selon Lequel seules les « dernières écri­tures » sont prises en compte par la Cour suscite des comportements aux antipodes du respect du contra­dictoire : nombreux sont Les appelants qui concluent « banalement » dans le délai de trois mois et attendent huit à dix jours avant la date prévue de clôture pour déve­lopper Leur « vraie » argumentation, ce qui met l’intimé dans l’obligation de répondre dans un délai extrêmement court, sauf à demander à La Cour que les conclusions soient écartées des débats pour non-respect du contradic­toire, ce qui demande de la part de la partie concernée une grande confiance en son avocat, puisque la question ne sera finalement résolue que devant la Cour de cassation…

En un mot, si la réforme Magendie était certainement par­tie d’une•bonne intention, elle aboutit à une procédure anxiogène, génératrice de cas de responsabilité civile pro­fessionnelle des avocats pour un résultat nul en termes de gain de temps procédural.

Bien plus, les ordonnances du conseiller de la mise en état (CME) « constatant »'(il ne peut rien faire d’autre) le non-respect des délais sont, la plupart du temps, contestées et déférées à La chambre, qui doit donc rendre des décisions en la matière… retardant d’autant la gestion des autres dossiers au fond…

Nous sommes typiquement dans une réforme de gestion des flux par le vide qui consiste à évacuer des affaires par tous les moyens, y compris celui du non-respect des délais.

Tout cela dit sans insister sur le fait que, jusqu’à preuve du contraire, Le procès reste — encore — la chose des parties…

Avec un CME aux pouvoirs renforcés (c’est-à-dire qui ne soit pas cantonné à constater qu:un délai est expiré pour en tirer la conclusion d’une forclusion) et proactif dans les procédures, on pourrait imaginer qu’après un échange de conclusions de l’appelant et de l’intimé, celui-ci, connais­sance prise du jugement dont appel, puisse orienter le débat vers telle ou telle question qui lui semblerait devoir être posée ou approfondie, ou, au contraire, s’il estime

que les conclusions des parties lui paraissent sUffisantes, proposer de rendre une ordonnance de clôture après, bien entendu, comme en dispose le Code de procédure civile, en avoir prévenu les parties avec un délai de préa­vis raisonnable pour que ceux-ci puissent éventuellement réagir.

On viderait ainsi le contentieux de la contestation des ordonnances du CME par le déféré, on ferait du CME un vé­ritable acteur de l’ceuvre de justice (et non pas seulement l’observateur passif, limité dans son action à l’allocation de provisions ou à l’arbitrage des incidents de communi­cation de pièces) et on accélérait le cours des procédures avec une « prime » aux plaideurs les plus diligents.

On peut même rêver d’un CME qui disposerait des pouvoirs d’augmenter (il a déjà le pouvoir de réduire) les délais, en fonction de la situation des parties et de leurs conseils, en plus de celui de prononcer des clôtures partielles pour sanctionner Les plaideurs les plus négligents.

En tout état de cause, il faudrait commencer par réformer la règle posée à l’article 779 du Code de procédure civile, selon laquelle « la date de la clôture doit être aussi proche que possible de celle fixée pour les plaidoiries » et Laisser, tout au contraire, Le CME prononcer la clôture dès que les échanges de conclusions lui paraissent, sauf opposition dûment motivée des avocats des parties, suffisants pour que l’affaire soit évoquée en l’état de ces écritures.

Rien n’interdirait qu’en cas de circonstances nouvelles, motivées (par exemple si des faits nouveaux le justifiaient), les parties demandent du CME le rabat de la clôture pour reprendre leurs échanges.

Disposant de pouvoirs renforcés, le CME deviendrait ainsi le véritable « arbitre » des délais.

Et si les moyens viennent à manquer pourquoi ne pas affecter à un « pôle » et non plus à une chambre détermi­née, Le CME ? liserait ainsi indépendant de la chambre et viendrait, le jour de l’audience des plaidoiries, présenter à la formation collégiale son rapport sur le jugement entre­pris, le déroulement de la procédure et sa compréhension des termes du litige qui demeure.

Cette formation collégiale Pourrait alors se limiter à un président et un conseiller, qui rapporteraient au troisième conseiller, pendant le cours du délibéré, en vue d’aboutir à l’arrêt attendu.

III. RATIONALISER LE TEMPS DE L’APPEL PASSE AUSSI PAR LA STRUCTURATION DES ÉCRITURES

Il est certain que la qualité des écritures judiciaires s’est dégradée depuis quelques années, et ce n’est pas, de l’aveu même des magistrats interrogés par Droit & Procédure, tant La longueur des conclusions qui pose problème, que la qualité même de ces écritures, au plan rédactionnel et, de manière plus préoccupante encore, leur articulation.

Si l’on ne saurait admettre que par voie de protocoles entre Les barreaux et les juridictions (voire par simple oukase, comme c’est le cas parfois) soit imposée aux avo­cats une limitation du nombre de pages ou de caractères de leurs écritures, ou que leur soit imposé un plan type, il est certain que des « guides de bonnes pratiques » et La rédaction de plans-types proposés au travers de ces protocoles, comme ce fut le cas de la convention conclue avec les barreaux du ressort de la cour d’appel de Paris il y a trois ans doivent être encouragés.

Et contrairement à ce que peuvent penser certains esprits chagrins, cette « discipline », si elle est respectée, ren­forcera la place de l’avocat et rendra celui-ci, de facto, indispensable, cette manière de renforcer la place de l’écrit ne devant pas nécessairement – osons même dire, au contraire – être couplée avec la représentation obligatoire par avocat : plus d’écrits, mieux structurés, aboutiront, à terme, à la promotion d’un barreau efficient pour ne pas dire, indispensable.

Mais encore faut-il convaincre les avocats de privilégier une écriture soignée et synthétique de Leur argumenta­tion en concentrant leurs moyens et en structurant leurs écritures.

Cela passera par un enseignement rénové à l’école du Barreau, aussi bien au stade de la formation initiale que de la formation continue, qui doit se faire « main dans ta main » entre magistrats et avocats.

Se rapprocher des avocats aux Conseils permettrait enfin de mettre en place de véritables enseignements de ré­daction des écritures devant La Cour, en s’inspirant de la technique de rédaction des mémoires de cassation.

Il faut, dans le même ordre d’idée, que les magistrats et avocats continuent de travailler ensemble à la mise en place de guides de bonnes pratiques et à l’élaboration de plans-types par spécialités de contentieux;même s’ils resteront tous élaborés sur la base de préceptes simples :

  • l’annonce du plan ;
  • la séparation absolue de la présentation des faits, de la discussion juridique ;
  • la critique du jugement (trop souvent l’appelant se contente de refaire le procès de première instance sans même critiquer le jugement) ;
  • l’articulation des moyens et des demandes en les clas­sant dans l’ordre du Code de procédure civile (nullités, fins de non-recevoir, défenses au fond) et en les complé­tant par l’énoncé et le développement des fondements juridiques ;

– la récapitulation, dans Le dispositif, des seules de­mandes, à L’exclusion de toute demande de constat ou autres.

Il est certain qu’un bon exposé des faits permet des ren­vois, au stade de la discussion, pour éviter les redites.

Et que l’objectivité, la concision de cet exposé des faits, doublées de la clarté et de la précision de l’exposé des moyens de droit, seront précieuses pour le conseiller qui aura à rédiger ta décision de la Cour : c’est donc une bonne façon pour l’avocat d’essayer d’obtenir satisfaction…

Bien entendu, la mention des pièces dans le corps’ des écritures, au fil de la présentation des faits, puis de la dis­cussion, s’impose mais cela va maintenant de soi.


 

NDA : le style oral de la présentation a été conservé

 

Article écrit par Stéphane LATASTE et paru dans la revue La Gazette du Palais – hors série, 31 octobre 2016

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